Cette critique est une version un peu modifiée de celle que j’ai écrite sur Babelio.
Dr Bloodmoney (dont le titre final « Dr. Bloodmoney, or How We Got Along After the Bomb » aurait été inspiré du « Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb » de Stanley Kubrick) est un roman de science-fiction écrit par Philip K. Dick publié en 1965.
Il ne s’agit pas de son roman le plus connu, mais à sa lecture, on s’aperçoit assez rapidement qu’il s’agit d’une des œuvres séminales du genre post-apocalyptique, tant sa structure, les thèmes abordés et son style particulier ont très probablement inspiré nombre de productions ultérieures du même genre.
De la courte description de la vie « avant les bombes », à la survenue de la catastrophe, puis aux différents récits de survie qui s’ensuivent, dans un monde irradié, peuplé de mutants et revenu à des technologies sommaires, il met effectivement en place une structure devenue depuis classique.
Le style de Dr Bloodmoney est plus ancré dans le réel que d’autres romans de l’auteur. Philip K. Dick s’est ici attaché à décrire le quotidien de « gens normaux » après une apocalypse nucléaire sur la côte ouest des États-Unis. Comment la vie peut-elle se reconstruire après une catastrophe d’une telle ampleur ? C’est la question à laquelle il essaie de nous fournir une réponse, en mettant en scène une totale inversion des normes qui semble très crédible : ce qui était autrefois commun devient rare et précieux, l’argent ne vaut plus rien, les chefs politiques sont destitués au profit d’acteurs apportant des bénéfices davantage tangibles à la communauté, les dépanneurs sont les nouveaux rois de ce monde en ruine.
« PKD » ne joue cette fois pas avec les multiples réalités alternatives qu’il aime faire entrevoir au lecteur pour mieux le faire douter, comme ses personnages, de ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, comme dans Blade Runner ou Ubik. Pourtant, le doute s’installe sur la part de surnaturel ayant trait aux évènements décrits, dans un monde devenu tellement fou où il est parfois difficile, pour le lecteur comme pour les personnages, de déterminer si des pouvoirs magiques sont réellement à l’œuvre ou s’il s’agit d’un grand délire plus ou moins paranoïaque et radioactif.
On regrette peut-être que le récit n’aborde pas du tout l’aspect géopolitique du conflit nucléaire. Le roman se contente de n’être « que » le récit d’individus lambda livrés à eux-mêmes dans une Amérique dévastée, alors qu’il aurait pu être une grande fresque politique sur les origines du conflits, les puissances en présence et les implications à grande échelle de tels évènements.
Et c’est également ce qui donne son côté irréel à cette histoire. D’où venaient les bombes ? Qui était l’ « ennemi » ? Qu’est-il arrivé au reste de la planète ? Le roman ayant été écrit en pleine guerre froide, l’ombre de l’URSS plane évidemment sur la catastrophe. Mais toutes ces questions restent désespérément sans réponse définitive tant les personnages semblent réellement coupés du reste du monde, à écouter les vieux tubes des décennies précédentes passés par le disc-jockey du satellite (ce qui confère son style rétro-futuriste indéniable au récit).
S’il ne s’agit peut-être pas du meilleur roman de Philip K. Dick, il reste très intéressant pour son traitement sans concession, qu’on pourrait presque dire réaliste, de la vie dans un univers de post-apocalypse nucléaire.
Et sa façon de traiter la catastrophe, ainsi que son style grinçant et volontiers rétro-futuriste par moments, m’a semblé absolument séminale pour bon nombre d’œuvres suivantes du même genre, tous médias confondus. Si vous vous intéressez à ce genre et ses origines, c’est une lecture obligée, tant vous comprendrez combien ses successeurs ont pu lui emprunter.
Je conclurai par un exemple : la série de jeux vidéo Fallout. Dans Dr Bloodmoney, l’ensemble de la Californie est accrochée à sa radio pour suivre la moindre émission de Walt Dangerfield, un astronaute coincé dans une capsule en orbite autour de la Terre devenu « disc-jockey planétaire » extrêmement populaire, étant l’un des seuls à encore avoir la capacité d’émettre par ondes radio. Lorsqu’il ne parle pas directement à ses auditeurs, Dangerfield leur passe alors les bandes audio avec lesquelles il a décollé, uniquement des classiques d’avant-guerre.
Dans le jeu vidéo Fallout 3, on retrouve l’alter ego légèrement modifié de ce personnage sous la forme de Three Dog, l’unique disc-jockey libre du Wasteland qui émet sur Galaxy News Radio. Lorsqu’il ne parle pas directement à ses auditeurs, Three Dog leur passe alors les bandes audio qu’il a réussi à retrouver, uniquement des classiques d’avant-guerre.
Le parallèle est frappant et le clin d’œil semble évident. Il l’est encore plus lorsqu’on écoute les morceaux que les personnages écoutent dans Dr Bloodmoney, car certains auraient tout à fait eu leur place dans la bande-son de Fallout 3, comme ici Bei Mir Bist Du Schön des Andrews Sisters :
Bien sûr, le but de cet article n’est pas de recenser toutes les inspirations et références aux univers de Philip K. Dick dans les Fallout (il y en a énormément !), mais on est parfois agréablement surpris de voir jusqu’où l’influence de l’auteur a pu percer, jusque dans des détails a priori anodins.