Retour express sur le film-documentaire du moment : David Lynch The Art Life, dans lequel David Lynch nous parle de David Lynch.
Inattendu. C’est le premier mot qui vient à l’esprit pour décrire ce film sur la vie du cinéaste, avec lui-même dans le rôle principal.
En effet, ce documentaire ne correspond pas vraiment à ce qu’on pourrait en attendre.
Biopic ? Certes non, la totalité du film se résumant à la narration, par David Lynch lui-même, de sa jeunesse. Pas d’acteurs ou de reconstitutions ici : vous aurez juste sa reconnaissable voix rocailleuse, quelques plans tournés de nos jours dans son atelier, et de nombreux documents d’époque présentés à l’écran (le film tient par moment plus du diaporama) sur une bande-son étrange et oppressante qui n’aurait pas détoné dans un de ses propres films, pour agrémenter son récit.
Un film sur la genèse et les secrets de ses œuvres les plus emblématiques, comme Blue Velvet, Mulholland Drive voire Twin Peaks ? Non plus ! Car le film évite soigneusement le sujet du David Lynch cinéaste, ou presque. Oui : dans ce film sur et avec David Lynch, on ne vous parlera pas du tout de ce qui l’a rendu le plus célèbre (le cinéma), mais de tout ce qu’il y a eu avant, puisque le documentaire entame sa dernière partie sur les premiers courts-métrages qui lui permirent de débloquer ses premiers fonds (The Alphabet, The Grandmother) et se conclut à l’évocation des débuts de la réalisation d’Eraserhead, son premier long-métrage.
C’est l’occasion de rencontrer le David Lynch jeune, celui qui n’a jamais su travailler sérieusement à l’école (une machine à tuer la créativité, selon ses dires), et qui passa le plus clair à peindre avant même d’avoir la moindre formation dès qu’il apprit qu’on pouvait en faire son métier. Au cours de son récit, on le suit donc depuis son enfance heureuse dans l’Amérique profonde, à son émancipation à Boston, qu’il pensait adorer et qu’il finit par détester, jusqu’à son passage à l’académie des Beaux-Arts de Philadelphie, qu’il pensait détester et qu’il finit par adorer et qui allait finalement lui ouvrir les portes (de service, mais tout de même) d’Hollywood.
Si le film s’appelle The Art Life, c’est qu’il relate cette période de la vie de Lynch, qu’il a lui-même baptisé en référence à The Art Spirit de Robert Henri, où il vécut comme une sorte d’artiste maudit sans le sou dont le but, avant même le succès, était de trouver, par un processus totalement itératif, ce qu’il cherchait à exprimer à travers son art. En somme, le documentaire cherche à montrer et démontrer Lynch « l’artiste total » (notez que j’emploie le terme sans aucun jugement de valeur) : bien loin d’avoir été un mordu de cinéma depuis sa plus tendre enfance comme un Peter Jackson ou, plus proche de lui, Spielberg, dont la destinée semblait toute tracée, Lynch expérimenta longuement l’art sous toutes ses formes avant d’en venir, un peu par hasard, au cinéma, et il est ici davantage question du peintre, sculpteur, plasticien voire poète que de l’auteur reconnu sur grand écran.
David Lynch The Art Life, décevant ? Peut-être un peu, tant on se sent roulé que le maître n’aborde à aucun moment le sujet de ses films cultes. C’est sans doute intentionnel ceci dit : le but de ce film est ouvertement d’aborder une partie de la vie du cinéaste dont il est rarement question : ce qu’il faisait avant de s’intéresser au cinéma. La suite, et la célébrité qui s’ensuivit, a déjà été longuement documentée au cours d’innombrables interviews au cours de sa vie.
En fait, ce documentaire parlera sans doute plus à ceux qui apprécient David Lynch en tant que personne, ou pour son style artistique très particulier dont ses films ne sont qu’une incarnation parmi d’autres, qu’aux cinéphiles purs et durs ou techniciens du cinéma. A ce titre, j’ai personnellement été intéressé par ce pan rarement évoqué de la vie du cinéaste, ponctué d’anecdotes assez savoureuses (comme son voyage à Salzburg en Autriche, censé durer trois ans et qui aura duré… quinze jours !), et de présentations de ses œuvres au style toujours plus cauchemardesque, à propos desquelles il est d’autant plus troublant de l’entendre parler avec beaucoup de détachement. Si il serait, à première vue, permis de croire que les œuvres de David Lynch sont le fruit d’un esprit malade, l’homme semble échapper à tout préjugé qu’on pourrait se faire sur sa personne, et apparaît comme un artiste étonnamment terre-à-terre et méthodique dans sa démarche. Si le film réussit une chose, c’est sans doute de nous faire comprendre un peu mieux ce qui se passe dans la tête de ce cinéaste hors norme et les origines de son style tout à fait unique.
Du reste, on aura aussi appris quelques trucs sur le David Lynch actuel : il continue son travail de sculpteur plasticien en écoutant du rock, il possède une reproduction du Jardin des Délices de Jérôme Bosch au-dessus de son bureau, et il fume beaucoup, beaucoup de cigarettes. Tout ce à quoi on aurait pu s’attendre, en gros.